Wolubilis

Actu / Jacqueline Bir : La vie en rêve et en vrai

Article • Publié le Actualités

Les qualificatifs sont nombreux à l’évocation de cette comédienne, belge de cœur, à la carrière impressionnante. Jacqueline Bir reste, en toute occasion, ancrée dans le présent, là où sa passion pour le théâtre la mène. Et le présent rime avec une nouvelle création, « La dame à la camionnette », à l’affiche en décembre à Wolubilis.

Avec cette pièce savoureuse d’Alan Bennett, mise en scène par Alain Leempoel, Jacqueline Bir tourne le dos à des mois de confinement anxiogènes pour retrouver avec délice le plaisir du texte et des planches, de l’échange avec les comédiens comme le public. L’histoire, véridique, d’une vieille dame venant s’installer, dans sa camionnette, devant le domicile d’Alan Bennett, dans le Londres des années 70, lui sied à merveille.

Dans quel état d’esprit préparez-vous cette nouvelle création alors que les prochains mois restent incertains pour le secteur culturel ?
Jacqueline Bir : J’ai joué beaucoup de rôles en costume et affichant une belle allure. Alors j’ai d’emblée dit oui à un tel personnage, je trouve cela chouette de me réinventer en abordant un nouveau type de personnage. J’ai vécu le confinement comme une détresse, une espèce de sidération. J’emploierais même un très beau mot « la déréliction », le fait de se sentir abandonné, comme un enfant perdu. Je n’arrivais plus à lire, ni à écouter de la musique. Au moment du déconfinement, je suis partie me ressourcer une semaine à la mer et j’ai retrouvé le goût de vivre. J’espère que ce coup sur la tête nous fera changer, il n’est plus possible de continuer de la sorte.

Pour la première fois, j’ai réalisé que j’avais un certain âge, pour ne pas dire un âge certain ! Les gens n’arrêtaient pas de me le répéter. Mais l’envie de jouer, elle, ne m’a jamais quitté. J’ai la chance d’aimer passionnément mon métier.

Quel regard portez-vous sur cette pièce particulière d’Alan Bennett, et sur votre personnage, l’excentrique Miss Shepherd ?
Il s’agit d’une pièce sur l’identité, sur ce que nous paraissons et ce que nous sommes réellement. La dualité du personnage de l’auteur est également très intéressante. J’apprécie cette pièce multiple, colorée. Je connaissais Alan Bennett pour avoir lu « La reine des lectrices ». Avec « Lady in the van », il est clair qu’il a voulu monter une pièce sur la personnalité de Madame Maggie Smith. Je me dois donc de m’approprier ce personnage très riche sans rien imiter. Il y a une rage, une énergie dans le personnage de Miss Shepperd, et vu mon côté insupportable, cela va aller tout seul. Mais il est vrai qu’elle peut se montrer tout simplement odieuse. Il s’agit bien sûr d’une carapace pour se protéger, le spectateur s’en rendra compte. Pour ma part, je revendique une certaine autorité, un jusqu’au-boutisme qui convient très bien au personnage. Le metteur en scène Alain Leempoel connaît ma rigueur, mais là je dois aller au-delà de mes limites.

Quand ce projet est-il né ? Un peu avant le confinement ?
Oh bien avant, il est né il y a 4 ans, durant les représentations de « Conversations avec ma mère » à Paris. Alain Leempoel et moi avions le désir de refaire quelque chose ensemble, il a eu cette idée et s’est démené pour la faire aboutir. C’est long la mise en route d’un projet… J’aime cette idée de voir évoluer mon travail avec Alain : je l’ai connu comme producteur, comme acteur et à présent comme metteur en scène.

Vous savez, je réalise la chance que j’ai d’avoir toutes ces années de vie mais aussi de théâtre. Je travaille encore, ce qui est incroyable. Mais j’ai ça en moi, je le porte comme une flamme, telle est ma façon d’exister, de parler aux autres, de faire de la politique aussi. Mes petits-enfants me disent que je suis un exemple pour eux. Parfois je râle, je peste, je me secoue : « Mais Bir, qu’est-ce que tu fais encore ? ». Que voulez-vous, le théâtre est ma raison d’être profonde.

Quelle est votre méthode de travail ?
Je rêve du personnage, j’y pense sans cesse, je l’invente, je procède par petites touches, lui découvrant de nouvelles facettes au fur et à mesure du travail du texte. Je suis une contemplative, les gens du réel sont fascinants. Je ne suis pas du genre à étudier un rôle phrase par phrase, je cherche plutôt à comprendre la rythmique, la pulsion propre à l’auteur. Le travail permet de faire ressortir toutes les couleurs d’un personnage, tout en gardant à l’esprit la tonalité générale. Il ne faut pas oublier que nous jouons tous la même pièce.

Vous avez la réputation d’être une grande bosseuse. Est-ce la source principale de votre plaisir de comédienne ?
Sans nul doute car je tiens cet amour du travail de mes parents. Ils m’ont inculqué les trois valeurs suivantes : travail, discipline, courage. C’est vous dire si travailler un texte sans relâche est pour moi véritablement jouissif. J’ai un immense respect pour les auteurs, ils m’ont appris beaucoup de la vie. Dès que j’ai découvert, très jeune, ce plaisir du texte, il est devenu le sens de mon existence. Quelles que soient les circonstances, j’ai toujours retrouvé une forme d’équilibre avec ce matériau littéraire.

Comment vivez-vous votre art au quotidien ?
Je rêve énormément, j’imagine un tas de choses. Je fréquente les musées, je lis, j’écoute beaucoup de musique, je suis abonnée à l’opéra… À côté de cela, je vis comme tout le monde, je fais mon ménage, je cuisine, je reste ancrée dans le quotidien, la femme est bien différente de la comédienne sur un plateau. Certes, je porte en moi comme une folie que j’exprime par la scène. Cette folie m’a nourrie, dans tous les sens du terme. Et l’art, sous toutes ses formes, vous remplit la tête, le corps et le cœur.

Quels ont été vos rôles ls plus marquants ?
J’ai été très touchée par la pièce « Home » de David Storey qui aborde le douloureux sujet de la décrépitude de l’être humain. J’ai adoré jouer Madame de Merteuil dans « Les Liaisons dangereuses ». Vous le remarquez, j’aime bien jouer les monstres ! Mais j’essaye toujours de tirer le public vers le haut, vers la beauté. C’est pour cette raison que je défends mon personnage de Miss Shepherd dans « La dame à la camionnette » car elle a un idéal.

Vous êtes née près d’Oran en Algérie, avez intégré le Conservatoire de Paris pour enfin suivre Claude Volter à Bruxelles et y poursuivre votre carrière. Vos racines sont-elles déterminantes dans votre évolution ?
Je suis une méditerranéenne, avec tout ce que ça comporte. La couleur, les odeurs, la joie de vivre ont construit ma personnalité tout comme la rigueur transmise par mes parents. Mais arriver en Belgique a été un cadeau magnifique. J’ai retrouvé un peu de la bonhommie et de la bienveillance qu’il y a de l’autre côté de la Méditerranée. Je me suis épanouie ici, alors que je ne me sentais pas très bien à Paris, la vie y est difficile. Ma vie est et demeure en Belgique, j’y ai trouvé le bonheur. Et ma carrière n’aurait peut-être pas été ce qu’elle est si j’étais restée en France, j’ai joué des rôles riches et magnifiques.

Comment recevez-vous l’admiration et l’amour du public et des gens du métier. Assumez-vous le titre de « Grande dame du théâtre » ?
J’ai beaucoup d’humilité, je suis juste Jacqueline, pas « LA » Jacqueline Bir. Tout ce qui compte à mes yeux est de faire bien ce que j’ai à faire. Mais je suis ravie que des gens me disent qu’ils ont été touchés ou marqués par une de mes prestations. Je me suis toujours amusée, j’aime mon métier. Je n’en tire aucune gloriole, je n’existe que dans la mémoire des gens. Je reste avant tout au service des auteurs. Aujourd’hui, je me sens en confiance, j’ai hâte de me retrouver sur scène. Je suis comme un musicien qui fait ses gammes tous les jours.

– Gilda Benjamin
Article publié le 23/09 sur https://www.journalistefreelance.be

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