LA VIE LONGUE DE LA VRAIE VIE
La Vraie Vie poursuit sa route, en tant que roman mais aussi spectacle. Une continuité réjouissante pour l’auteure belge Adeline Dieudonné, également comédienne, qui y interprète la narratrice. Et quand Adeline nous raconte une histoire, les frissons, d’horreur comme de plaisir, sont garantis.
Conte cruel et constat glaçant des violences intra-familiales, le premier roman d’Adeline Dieudonné avait fortement secoué la rentrée littéraire 2018. Multirécompensé, il se prête aussi à la scène, en lecture ou finement adapté et mis en scène ici par Georges Lini dans un décor terriblement inventif où figurines et masques multiplient les personnages. Sagement installée sur sa chaise, Adeline raconte cette fillette de 10 ans, son ogre de père, sa mère écrasée et son petit frère à sauver. « Dans une adaptation, des créateurs s’approprient votre roman pour en faire un autre objet artistique. J’ai en effet l’impression que cette petite fille continue sa vie à travers différents chemins et médias et c’est très émouvant pour moi. En étant sur scène, j’ai le plaisir de raconter l’histoire à un public qui n’a aucune attente s’il n’a pas lu le roman et se montre alors surpris par les événements. Je vois beaucoup de similitudes entre la scène et l’écrit. Dans les deux cas, je me mets dans la peau d’un personnage et j’essaye de voir le monde à travers ses yeux, raison pour laquelle je suis très à l’aise avec la première personne du singulier, un mode narratif qui me correspond. »
La scène et la suite
De quoi s’étonne-t-on encore après un tel succès international ? « Du fait que cette vague ne s’arrête pas et qu’il y ait toujours des gens pour découvrir ce roman. Et même si j’en ai déjà beaucoup parlé, certains arrivent encore à me surprendre avec certaines questions. » Depuis, il y a eu Kerozene (Éd. de l’Iconoclaste), et un nouveau roman à paraître au printemps prochain, mais La Vraie Vie (Éd. de l’Iconoclaste) est toujours là, dans les rayons des librairies et sur les scènes des théâtres. « Je ne suis pas du tout intervenue dans cette adaptation ni dans la mise en scène de Georges Lini, ravie de ne pas avoir voix au chapitre ! Sa vision rencontrait parfaitement la mienne, je m’en réjouis car ç’aurait pu être une vraie souffrance sinon. La compréhension du texte par la comédienne Isabelle Defossé est tout aussi brillante, il y a même des moments où je découvre encore des choses. En fait, toute l’équipe, les scénographes et tous ceux qui participent au son ou à la lumière contribuent à cette réussite, je me suis souvent retrouvée au bord des larmes. Certains personnages sont représentés par des masques et ressemblent exactement à ce que j’avais pu imaginer. »
Le sourire de la peur
Adeline Dieudonné a un imaginaire débordant. Elle a en commun avec Georges Lini la représentation de la sauvagerie, de l’animalité. « Si on est touché par ce livre, on peut difficilement rester insensible aux sujets des violences conjugales et familiales. » Mais écrit-on pour mettre en mots ses peurs ? « Sans aucun doute et je le ressens d’autant plus fort en pensant à mon nouveau roman. J’aime apprivoiser mes peurs en les regardant en face, comme devant un gros animal monstrueux. Sauf qu’avec la fiction, on peut y aller sans réelle mise en danger. Aller visiter ses peurs permet de les maîtriser un peu plus. » L’auteure évoque une enfance assez solitaire dans le Brabant wallon. Serait-elle imprégnée d’une certaine belgitude ? « Nous écrivons tous avec ce matériau constitué de nos souvenirs, empreint du lieu où nous avons grandi. J’ai déjà aussi fait référence à l’Ardenne belge et la mer du Nord, je trouve plaisant d’aller ausculter ces lieux avec le regard critique de l’adulte. »
– Gilda Benjamin