L'Artiste du mois / Laureline Maheo : dévoiler l'invisible
Chez Laureline Maheo, tout n’est que poésie, expérimentation et recherche.
D’origine bretonne, la jeune sculptrice diplômée en 2015 de l’école des Arts Plastiques de Lorient (DNSEP) s’est depuis installée à Bruxelles et nous a fait le plaisir de rejoindre l’Artothèque en mai 2020. Nous nous sommes entretenus avec elle par téléphone (confinement oblige) pour en apprendre plus sur sa pratique, son parcours et ses recherches sur la matière et la gravité. Retour sur cet entretien tout en délicatesse.
D’où t’es venu ton intérêt pour l’art et la sculpture ?
Mon attrait pour l’art me vient du dessin, c’est via cette pratique que je suis entrée en école d’art. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de tester plein de choses différentes, le tissu et puis le volume. Pour mon projet de fin d’études, j’avais d’ailleurs créé un tissage monumental en utilisant les escaliers de l’école comme métier à tisser.
Quand je suis arrivée à Bruxelles, je me suis tournée vers le plâtre, pour montrer l’invisible ; ce qu’il y a à l’intérieur des plis du tissus. Cela permet d’attraper un instant, de le figer sans le représenter. Cela crée de la forme, directement avec le plâtre.
Nous avons pu voir tes sculptures à la Médiatine, de taille assez réduite, mais tu sculptes aussi des grands formats ?
Les sculptures que j’ai exposées aux Petits Formats étaient tout à fait dans le thème. Mais il est vrai que les sculptures issues de mes premières expérimentations avec le plâtre étaient effectivement plus petites. Elles étaient fabriquées à base de plâtre de chantier, qui n’était pas adapté. Puis, j’ai continué à tester les idées qui me venaient tout en prenant en compte l’espace, le volume, la réalisation des socles, toutes ces choses dont j’avais connaissance en théorie mais que je n’avais pas encore pu tester en pratique. Et bien sûr, je me suis rendue compte que plus je pratique, plus je suis capable d’anticiper les réactions qui vont apparaitre au cours des processus.
Tu reviens d’une résidence en Australie, n’est-ce pas ?
Tout à fait. La résidence m’a permis de travailler sur la création de socles en métal, que je me suis mise à englober dans la sculpture en elle-même et de reconduire mes recherches sur la gravité… de l’autre côté de la terre! L’occasion parfaite pour aller observer en personne la fascinante « Pitch Drop Experiment », qui tient le record de la plus longue expérience en cours dans le Guinness Book dont j’avais entendu parler il y a plusieurs années. Cette expérience tend à démontrer la fluidité d’un dérivé du goudron, à travers un entonnoir. C’était l’occasion rêvée d’aller à Brisbane pour admirer l’installation de ses propres yeux et nourrir mes recherches sur la gravité.
La gravité semble occuper une place centrale dans ta pratique : pourquoi est-ce le cas ?
Si je m’intéresse à la gravité, c’est qu’elle modèle la matière. Son action crée des formes auxquelles je n’aurais jamais pensé moi-même, seulement deviné.
Dans ma pratique, je réfléchis aux questions liées à la matière, à l’espace et aussi au temps. Pour moi, le résultat final d’une sculpture doit être visible. Il peut être touché, aimé et pourquoi pas, qu’on puisse y observer directement les effets du temps. De quoi avoir envie de travailler avec des matériaux plus pérennes que le plâtre, afin qu’ils puissent avoir une vie propre et non être éternellement l’archive d’un geste. Je suis fascinée par la gravité. Il s’agit d’une fascination qui est mêlée de fantasmes sur les lois de la physique. Je me sens quelque peu happée par la contemplation de ces lois plutôt que par leur véritable fonctionnement. Nous ne sommes pas grand-chose par rapport à ce champ de forces, et dans la sculpture, c’est une question qui se pose : sculpter, c’est aller contre la gravité tout en contemplant ses effets directement. Comme lorsque j’étais enfant et que je m’allongeais pour regarder les choses à l’envers, et où j’expérimentais aussi avec le tissu.
Pourrais-tu nous citer une source d’inspiration ?
Le travail d’Eva Hesse me vient en tête en premier. Il s’agit d’ une artiste décédée assez jeune, qui avait toute une pratique sur le latex, le mou, les formes qui pendent et qui se décomposent, des sculptures très organiques, évolutives, qui se décomposent avec le temps. Son travail me donne envie de mettre en place un projet qui utilise l’érosion, en rajoutant des mousses, des gels, comme une idée de vertige archéologique. La finalité de ces sculptures est la décadence, sortir du contrôle, enfin laisser faire les choses afin que le monde extérieur puisse leur donner forme.
Et depuis le confinement, qu’est-ce-qui a changé ?
Avec le coronavirus et l’arrêt des activités, j’ai dû délaisser mon atelier, ainsi que l’atelier de soudure et de sculptures métalliques que j’avais commencé à fréquenter. Mais avec les nouvelles réglementations en vigueur, je pense y retourner bientôt.
En ce moment, j’ai envie de créer quelque chose de mobile et d’actionnable ! Je suis d’ailleurs à la recherche d’un.e ingénieur.e avec les compétences pour m’aider dans mes recherches.