LE POUVOIR PHILOSOPHIQUE DES MOTS

Chevalier de la Légion d’honneur, Officier de l’ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et des Lettres, lauréate de la médaille d’or 2018 du CNRS, Barbara Cassin collectionne les titres. Mais sans nul doute, la plus prestigieuse des récompenses est son intégration au sein de l’Académie française. Dans l’histoire de cette institution, elle est seulement la 9ème femme à devenir académicienne.

Amoureuse des mots et des langues, cette philosophe de formation se consacre à la force du langage, à sa diversité et n’a de cesse d’en interroger son pouvoir. « C’est simple, répond-elle. Je me suis toujours occupée de ce que peuvent les mots. » Sa méthode ? Aborder la philosophie et ses questions fondamentales par le biais du langage et du discours. Née en 1947, rien ne prédestinait Barbara Cassin à devenir cette grande philosophe, spécialiste de la sophistique. Jeune, Barbara Cassin s’intéresse au théâtre et à la danse. Un jour, en classe de philosophie, c’est le coup de foudre ! Interrogée par Philosophie magazine en 2017, elle y explique : « Avant de m’y lancer, je n’imaginais pas qu’il y avait des gens dont le métier était la passion de se poser des questions telles que : comment est le monde ? ou : Dieu existe-t-il ? (…) Ce qui est devenu ma passion, c’est plutôt de savoir comment on fait avec les mots, ce qui est le point commun entre la littérature, la philosophie et la poésie. Qu’est-ce qui se passe quand on parle ? Disons que mon travail consiste à réfléchir à “ce que parler veut dire”, comme aurait dit Pierre Bourdieu. » (cf. source)

L’amour des mots
Le vent de liberté de mai 68 est fondamental pour la jeune fille sortant d’hypocagne (classe préparatoire à l’École normale supérieur – Lettres). En 1969, elle se retrouve à participer au Séminaire du Thor donné par le philosophe Martin Heidegger chez le poète René Char. Fascinée par ces rencontres et de voir de telles personnalités penser et être libre de penser, son goût pour la philosophie l’emporte à ce moment sur son amour pour les mots. «(…) le milieu philosophique m’a bien fait comprendre qu’il fallait soit entamer une carrière littéraire, soit me lancer dans l’aventure du concept. J’ai ainsi fait de la philosophie “dure” par défis. Je ne supportais pas qu’on me dise : tu es une femme, tu n’as qu’à écrire des histoires de cœur ou des nouvelles érotiques. S’ajoute à cela le fait que les grands textes d’Homère ou d’Euripide, voire Platon, font exploser les notions de genres et de disciplines. » (cf. source)

La défense des langues
Depuis, Barbara Cassin consacre son métier de philosophe à la force extraordinaire des mots et aux pouvoirs des traductions des langues. En 2004, elle publie Vocabulaire européen des philosophies – Le dictionnaire des intraduisibles (Éd. Seuil) en collaboration avec 150 autres personnes, où 4000 mots sont explorés dans plus de 15 langues européennes. « Mon seul militantisme politique repose sur la défense des langues européennes. Il provient d’un double refus : d’un côté, celui du globish (global english), cet anglais basique mondialisé qui tend à devenir la seule langue de communication et de transmission ; il ne laisse subsister les autres langues, nos langues maternelles, que comme des dialectes. À côté de la réduction de l’Europe à cette triste alternative, je vise également un ennemi philosophique plus ciblé, disons un heideggérianisme sommaire selon lequel il n’y aurait tout compte fait que deux langues philosophiques : le grec et l’allemand, supposant ainsi que les autres langues ne pensent pas. » (cf. source)

Et le bonheur dans tout cela, que signifie-t-il ? Barbara Cassin aime à dire qu’on philosophe en langue, comme on parle, comme on écrit et comme on pense. Et que fabrique-t-on avec les mots ? Le bonheur a-t-il plusieurs langues ? Une conférence à voir le 15 février 2023 à Wolubilis.

– Marie-Gaëlle Van Snick
Source : Philosophie magazine 24/10/2017

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BARBARA CASSIN – LE BONHEUR A-T-IL PLUSIEURS LANGUES?
Mercredi 15 février 2023 à 20h00