THIERRY LHERMITTE EN PASSEUR DE MÉMOIRE
Depuis toujours, Thierry Lhermitte fuyait l’exercice du seul en scène. Mais, pour la première fois, c’est bien seul qu’il monte sur les planches pour donner vie aux différents personnages de cette incroyable histoire au succès mondial, parue en 1969, Fleurs de Soleil de Simon Wiesenthal.
« Je m’appelle Simon Wiesenthal. Je suis né le 31 décembre 1908 à Boutcha, en Ukraine. Je suis mort le 20 septembre 2005 à Vienne, en Autriche. Tout à l’heure va se produire un événement qui m’a interrogé et obsédé toute ma vie. À la fin de mon récit, vous aurez peut-être une réponse pour moi. » Voilà comment débute Fleurs de soleil. Toute sa vie, Simon Wiesenthal a cherché à comprendre ce qui lui était arrivé en ce matin ensoleillé de 1942. Seul, dans la pénombre d’une chambre d’hôpital, il entend ce jour-là le récit innommable de Karl, un jeune nazi à l’agonie. Hanté par les atrocités qu’il a commises, il demande le pardon d’un Juif afin de mourir en paix. Simon Wiesenthal peut-il ou doit-il soulager la culpabilité de ce soldat ? Peut-on pardonner l’impardonnable ? Peut-on accorder soi-même une rédemption au nom d’autres victimes ? Un texte qui pousse à une véritable réflexion humaine.
C’est au coup de cœur que fonctionne Thierry Lhermitte au moment d’entamer un nouveau projet. Contrairement à ses rôles au cinéma où il avoue être prêt à « n’importe quelle bêtise », au théâtre c’est différent. Il veut une bonne raison de jouer sur scène tous les soirs et remonter sur les planches n’était pas dans ses priorités, surtout pour cet exercice du solo tant de fois évité… Aux yeux du comédien, ce spectacle est bien plus qu’un récit ou un questionnement, c’est un devoir mais c’est aussi l’évocation d’une âme, celle de Simon Wiesenthal.
Plus qu’un rôle, une mission
C’est un peu par hasard, grâce à une suggestion de sa liseuse, que Thierry Lhermitte explique avoir découvert ce récit. Après la lecture de Fleurs de Soleil, il avoue, tout comme Simon Wiesenthal, avoir été obsédé par cette question : qu’aurais-je fait à sa place ? Bouleversé et interpellé, il a incité son entourage à lire ce livre. Parmi celui-ci figuraient Jean-Marc Dumontet, producteur, et Steve Suissa, metteur en scène. Leur enthousiasme et la force de ce texte l’ont convaincu de porter à la scène les mots de celui qu’on nomme souvent « le chasseur de nazis ». Bien plus que la prouesse du comédien, il aborde ce texte moins comme une performance mais bien comme une mission de passeur de mémoire avec ses armes d’interprète. Comme la littérature et le journalisme, le théâtre contribue à faire savoir et à expliquer auprès du public. Si le contexte extrême de Fleurs de soleil est la Shoah, depuis, les génocides n’ont jamais cessé. Comment vit-on le pardon au Cambodge, au Rwanda ou aujourd’hui, plus tard, en Ukraine… ?
Le défi pour Thierry Lhermitte se révélait stressant. Après quelques lectures publiques, l’appréhension s’est estompée et l’intérêt de raconter cette histoire a supplanté ses craintes et ses réticences. Tout s’est enfin confirmé suite à une représentation en Israël durant l’été 2019. Aussi, peut-on lire dans une interview accordée à Paris-Match le 22/01/2020 : « Je fais mon métier pour avoir peur. C’est dingue de jouer avec le cœur qui bat. »
L’éternelle question du pardon
« Obsédé par cette histoire, j’ai décidé de la raconter et je pose la question qui, aujourd’hui encore, en raison de sa portée politique, philosophique ou religieuse, mérite réponse : ai-je eu raison ou ai-je eu tort ? » écrit Simon Wiesenthal.
Sur scène, Thierry Lhermitte donne à voir et entendre de multiples personnages, entrecoupés par les interventions de philosophes, d’écrivains ou d’autres survivants des camps. Les interrogations de Simon Wiesenthal sont éclairées par les réponses de ces personnes à qui il avait envoyé son texte à l’époque. Grâce à ces témoignages, on comprend qu’au-delà du « je pardonne ou non » interviennent les notions de justice, de repentir ainsi que du bien et du mal. Interrogé sur son propre ressenti, Thierry Lhermitte ne dissocie pas ces notions d’un éventuel pardon.
Le spectacle alterne donc le récit de Simon Wiesenthal, le dialogue avec ceux qui ont croisé sa route pendant et après la guerre et ces lettres de personnalités qui tentent d’apporter une réponse à son dilemme. Dans sa quête de réponse, Simon Wiesenthal a sollicité des personnes inattendues comme Albert Speer, architecte et ministre de l’Armement du Reich, condamné à vingt ans de prison lors du procès de Nuremberg : « Devriez-vous me pardonner si je ne peux pas me pardonner moi-même ? ».
Parmi toutes ces lettres encore, Thierry Lhermitte aime à mentionner sa préférée, celle de l’écrivain roumain Petru Dumitriu : « Il me semble que la civilisation est toujours à recommencer ; qu’elle n’est pas un état de grâce, mais bien un travail continuel sur soi-même et les autres, dans la direction indiquée par l’expérience et par l’espoir. L’homme est une question de persévérance.»
Émouvant, sans tomber dans le pathos, Thierry Lhermitte joue avec énormément de sincérité. Il nous surprend et nous touche en pleine âme. Dans une mise en scène sobre et sans fioriture, le texte prend toute sa force et nous donne à réfléchir. Tout en nuances et en pudeur, l’acteur apporte tout son talent à un texte nécessaire et toujours d’actualité car les horreurs du passé ne sont jamais très loin…
– Marie-Gaëlle Van Snick