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DANS L’OMBRE ÉCLATANTE DU GÉNIE

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La pièce Signé Dumas, de Cyril Gely et Éric Rouquette, a été créée à Avignon en 2018. Son succès fait qu’elle est toujours en tournée. Le sujet a de quoi séduire : la confrontation entre le génie dévastateur d’Alexandre Dumas et sa plume complice mais finalement révoltée d’Auguste Maquet. L’ogre et sa proie pas si docile donnent lieu à une joute haute en couleur.
Tristan Petitgirard: l’émotion avant tout

« Le secret du théâtre est de se réinventer dans ce qui existe sans vouloir tout changer. Je suis tout sauf un metteur en scène dictateur car les comédiens peuvent avoir des idées bien meilleures que les vôtres, ils sentent la pièce et les personnages. Je ne suis juste qu’un chef d’orchestre, mon métier est de tirer les fils et d’encourager les comédiens à se diriger vers leur évidence. » Cette fois encore, Tristan Petitgirard adopte un vrai sens du tempo dramatique. « Je suis un metteur en scène musical quant au rythme, au souffle, à la respiration d’une pièce : il y a des crescendo, des silences, des grands mouvements de l’âme. L’acteur est tel un instrument et joue sa propre partition. Le fait que je sois le fils d’un chef d’orchestre n’est pas anodin ! D’ailleurs, je fais très attention à la façon dont je distribue les voix, il suffit d’entendre la voix de stentor de Xavier Lemaire et celle plus fluette de Guillaume Sentou, une opposition naturelle de la basse et du ténor. Le théâtre agit comme une vibration par laquelle passe l’émotion. »

Histoire et fiction
Comment se détacher de faits historiques pour nourrir au mieux une œuvre fictionnelle ? « En parcourant mes dernières mises en scène, comme La Maison du Loup, La Machine de Turing et bien sûr Signé Dumas, on y trouve toujours la notion de réparation, avec le désir de rendre justice aux oubliés de l’Histoire. Il s’agit ici d’Auguste Maquet qui a sans doute autant écrit l’œuvre de Dumas que Dumas lui-même. Mais avant tout, c’est l’auteur qui tient compte du sujet historique, je m’occupe pour ma part de mettre en scène des hommes et des conflits humains. Et j’ai considéré Signé Dumas comme une rupture amoureuse, sauf qu’elle concerne la séparation de deux auteurs impliqués dans Les Trois Mousquetaires ou encore Le Comte de Monte-Cristo avec pour toile de fond la Révolution de 48. La pièce est aussi le fruit de la rencontre avec un acteur. Je savais que Xavier Lemaire ferait un Alexandre Dumas extraordinaire et j’avais envie de monter la pièce pour lui. Si l’auteur peut avoir un désir de pédagogie ou de transmission, mon but est avant tout de véhiculer des émotions. »

Le succès, ce grisant pouvoir
La Machine de Turing a obtenu quatre Molières, dont celui de la mise en scène. « La vertu de ce succès est de l’avoir vécu entre amis, un état que j’avais déjà eu la joie de connaître mais pas dans ces dimensions incroyables. Les portes s’ouvrent plus facilement mais il ne faut pas se laisser griser. Raymond Devos a cette phrase formidable « Le succès est un bide auquel on a échappé ». On se sent plus libre d’opérer ses choix. » Si la pièce a été créée avec Davy Sardou, c’est Guillaume Sentou qui lui a succédé dans le rôle de Maquet. « Le mariage absolu du professionnalisme et de la fantaisie. Guillaume incarne le plaisir total du jeu, tout comme Xavier. »

Guillaume Sentou: un grand acteur pour de grands auteurs
Comédien à la solide carrière, il a connu le triomphe en incarnant Edmond Rostand dans Edmond d’Alexis Michalik. Le voici dans le costume d’Auguste Maquet. « Je n’ai pas tellement eu à construire le personnage, il me suffisait de regarder exister le « copain » d’en face, Xavier Lemaire, qui proportionnellement, de voix et de caractère, incarne un parfait Dumas. Je savais qu’il était courant à l’époque, chez les grands auteurs, d’utiliser ce qu’on appelait alors des « nègres ». Victor Hugo disait de Dumas qu’il avait inventé l’industrialisation de la littérature. Et on ironisait en disant qu’il n’aurait pas eu le temps de lire tout ce qu’il écrivait vu le nombre de petites mains bossant pour lui. Mais devant Auguste Maquet, nous assistons à une injustice majeure. J’ai découvert pas mal de choses et notamment que Maquet fut l’un des premiers présidents de la SACD, Société des Auteurs, après Beaumarchais. Comme quoi, tout cela a du sens. En sa qualité de passionné de littérature et d’historien, il amenait quantité d’éléments au service des grandes épopées romantiques que Dumas appréciait tant. La somme de détails précis apportés par Maquet rendait l’œuvre de Dumas encore plus authentique, plongeant le lecteur dans une part de réel. Son apport est colossal. »

Grandes plumes
Guillaume Sentou aurait-il une affinité irrépressible avec les grands auteurs ? Maquet, Dumas, Edmond Rostand, Jules Verne…. « Je semble abonné aux auteurs géniaux du 19e siècle alors que ce n’est par forcément là que je m’imaginais. Mais ces pièces sont tellement bien écrites, documentées et passionnées, comme ici pour Signé Dumas. Ce serait impensable de passer à côté. » Des pièces qui emportent le spectateur dans un souffle trépidant. « Alexis Michalik et moi nous sommes bien trouvés car tous deux ennemis de l’ennui. Ce rythme m’est naturel, je ne suis pas un lent. Et comme je viens de l’humour et du café-théâtre, j’aime à rester dans cette énergie. Ce qui ne veut pas dire d’aller vite. Mais les informations ne traînent pas afin de stimuler le spectateur et sa boîte à imagination. Justement, le rythme passe davantage par le metteur en scène et tout a semblé comme une évidence avec Tristan Petitgirard et Xavier Lemaire. Mon duo avec Xavier fonctionne de mieux en mieux. Et comme il se plaît à me dire en rigolant : “On se plaît à se charcler la gueule !” »

Oui mais quoi?
Que ressentent les spectateurs après une telle démonstration, semi-historique ? « De nombreuses questions sur le vrai du faux. La pièce bénéficie bien sûr d’un remaniement dramaturgique. Mais oui, il y a vraiment eu un procès, Maquet l’a perdu malgré les preuves apportées… Pourtant, Dumas a fini pauvre et Maquet richissime. Je ne voulais pas jouer Maquet comme une victime, il connaît le lascar et ses excès mais la situation lui plaît, lui permettant de s’exercer au roman. Le vrai génie reste Dumas, il ne suffit pas d’avoir les ingrédients, encore faut-il lier la sauce et rendre le roman moderne, rythmé et gourmand. Mais Maquet mérite une reconnaissance pour son énorme contribution. »
– Gilda Benjamin

>> TICKETS pour le jeudi 20 avril à 20h30

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