EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE ÉMOTION ET POLITIQUE : JESSICA GAZON
Adapter l’auteur Edouard Louis est toujours un événement. En finir avec Eddy Bellegueule, son premier roman autobiographique paru en 2014, a fait l’effet d’une claque littéraire dénonçant aussi bien l’homophobie que la précarité. Adapté au théâtre et mis en scène par Jessica Gazon, le spectacle secoue et émeut à la fois.
En finir avec Eddy Bellegueule est un spectacle terriblement contemporain, incisif, drôle aussi. Sur les conseils de son camarade de théâtre Thibaut Nève, Jessica Gazon s’est laissée emporter par l’enthousiasme des trois comédiennes de La Bécane. François Maquet a ensuite rejoint le projet. « Je travaille avec de l’écriture de plateau même quand j’adapte un roman. Il s’agit d’une co-construction mais où chacun est à sa place bien définie par rapport à l’œuvre, le texte, la mise en scène, les décors… Nous ne sommes pas un collectif mais tenons compte du ressenti des autres. » Avec le désir d’adapter les auteurs contemporains pour mieux s’engager et dénoncer ? « En tout cas, d’analyser des choses qui m’échappent. Dénoncer en ne proposant pas de dispositif d’interrogation, en faisant juste du théâtre de constat ne m’intéresse pas. C’est ce vers quoi nous tendons depuis dix ans avec notre compagnie, en travaillant surtout avec l’autofictionnel, on se joue de nos propres vies pour mettre en perspective des événements intimes, raison pour laquelle nous abordons souvent les rapports familiaux, le premier endroit politique à nos yeux. Avec un roman comme celui-ci, nous quittons nos petites vies pour aller vers l’universel, même si je pense que ça n’existe pas, tout est point de vue. Disons plutôt qu’il s’agit d’aller vers l’humain et de créer du lien. C’est assez pertinent d’aborder en même temps l’homophobie, les classes sociales, l’exclusion, la littérature… Edouard Louis met le doigt sur des thématiques pas souvent liées, ce qui rend son œuvre si originale et forte. »
Rire et pleurer
L’humour s’immisce pour alléger tout discours plombant. « Nous ne le recherchons pas prioritairement mais il finit toujours par advenir. Moi-même j’ai besoin d’avoir une lumière au bout du tunnel, la résilience crée humour mais aussi tendresse. D’ailleurs, dans ce spectacle, la tendresse a dominé dans notre processus de travail. Ce que je préfère au théâtre c’est rire et pleurer dans le même spectacle. Ici, les gens ressortent souvent bouleversés mais ce ne sont pas des larmes de tristesse mais d’émotion et d’empathie. »
Sensibilité non genrée
Autrices, metteuses en scène, productrices, réalisatrices… Un courant artistique féminin s’affirme très fort en Belgique comme ailleurs. « Comme il y a eu discrimination, des cris se sont fait et se font toujours entendre. Les choses sont en train de se rééquilibrer. Mais la création n’est pas une question de genre. Je me considère en tant que personne de théâtre et non femme de théâtre, ma démarche première est de créer des dispositifs qui ouvrent des fenêtres sur le monde en proposant des œuvres qui m’ont aidée à vivre et penser. Je viens de Verviers et vit à Bruxelles depuis 15 ans. Il est évident que toute la complexité de la Belgique me nourrit et j’aime y créer. »
Eddy Bellegueule, avant/après
Créé en période Covid, ce spectacle est, de l’aveu de Jessica Gazon, l’un de ses plus accessibles et touchants. « Il est particulier, d’autant qu’il embrasse un public très large, notamment chez les scolaires. Les échanges avec ces jeunes se révèlent bouleversants quant à la violence, l’homophobie, l’exclusion, la précarité… Mais aussi très riches avec un public divers. Edouard Louis est prêt à excuser mais il essaye toujours d’expliquer. Il a une analyse brillante et Eddy Bellegueule, son premier livre, amorce toute la pensée qu’il ne va cesser de développer dans ses autres écrits. »
– Gilda Benjamin