L’HÉRITAGE DES COMBATS D’UNE EFFRONTÉE

Comment incarner Simone Veil sans tomber dans le pastiche ? Le défi peut sembler périlleux mais est relevé d’une main de maître par Cristiana Reali. À travers la comédienne, c’est bien Simone Veil qui nous livre ses mémoires durant une heure quinze chrono.

« Je suis toujours rebelle ! C’est presque un réflexe : quand on me dit quelque chose, immédiatement, j’ai envie de dire le contraire. », disait Simone Veil dans un entretien accordé au magazine Elle le 25 octobre 2007. Nous connaissons toutes et tous ses combats, ses épreuves et sa témérité. Simone Veil, les combats d’une effrontée résume bien, en un titre, le parcours de cette femme extraordinaire.

Nous sommes le 1er juillet 2018. Simone Veil entre au Panthéon et lors de cette cérémonie officielle, les discours célébrant sa mémoire se succèdent. Au même moment, Camille, une jeune
femme qui vient d’achever sa thèse sur Simone, est appelée à prendre la parole dans une émission radio pour rendre hommage à l’ancienne ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville au sein du gouvernement d’Édouard Balladur de 1993 à 1995. Le spectacle commence. Dans un décor qui rappelle un ancien studio de radio, la parole de la jeune Camille laisse peu à peu la place à celle de Simone incarnée avec la plus grande justesse par Cristiana Reali. À distance, une conversation se noue entre ces deux générations. La libre adaptation sur scène des mémoires de Simone Veil (Une Vie – Simone Veil – Éd. Stock) nous fait découvrir sous un nouveau jour celle qui fut, et qui reste, l’une des personnalités préférées des Français.

Simone Veil, un caractère
Dans cette adaptation théâtrale, Cristiana Reali nous offre une interprétation incomparable, remplie de puissance et de charisme incarnant jusqu’à la gestuelle et l’intonation si caractéristique de Simone Veil. Le portrait n’est pas celui aveuglé qui dépeint une femme parfaite. Simone Veil ne l’était pas. Sa personnalité était à la fois moderne et classique, progressiste et réac, très humaine mais aussi très froide. Cristiana Reali explique que ce sont ces antagonismes et cette personnalité complexe qui l’ont séduite et poussée à adapter les mémoires de Simone Veil à la scène. À la lecture du livre, la comédienne a décelé quelque chose relevant de la dramaturgie dans l’histoire de cette vie. Son parcours, ses valeurs, ses discours sont d’utilité publique encore et toujours à notre époque… surtout à notre époque. Dans un entretien accordé à Version Femina (16/11/2022) Cristiana Reali explique : « J’aurais voulu raconter plus mais la représentation aurait duré trois heures. Mon objectif était avant tout d’ajouter de l’émotion à la sobriété de son écriture, aborder la part intime de Simone Veil qu’on connaît moins, son humanisme et sa volonté de se tourner vers l’avenir et les jeunes générations. »

Simone Veil, la féministe
« Si l’existence ne m’a guère épargnée, j’ai, en revanche, croisé bien des gens qui m’ont protégée. Tout cela pour dire que ma position actuelle ne saurait être interprétée comme une revanche personnelle. Elle tient en une seule phrase : les chances, pour les femmes, procèdent trop du hasard, et pas assez de la loi ou plus généralement de la règle du jeu. Réciproquement, je suis convaincue que la société ne peut que bénéficier de l’apport spécifique, pour elle, de la réduction des inégalités dont souffrent les femmes. » (Extrait de Une Vie – Simone Veil, Éd. Stock) Pour
Cristiana Reali, les engagements de Simone Veil doivent encore et plus que jamais faire échos dans notre société. Trop souvent, la jeune génération pense que nos droits sont acquis et oublie, ou ignore, qu’ils sont les fruits de longs combats. L’évolution de l’égalité entre les hommes et les femmes, le droit de travailler à des fonctions masculines, le droit à l’avortement, les étendards des féministes d’aujourd’hui sont le fruit des débats qui nous ont précédés. Grâce à cette pièce et à la modernité qui en transpire, l’essentiel de l’héritage est bien là. Toujours dans cet esprit de transmission et ne voulant pas tomber dans le monologue, Cristiana Reali a voulu qu’une comédienne plus jeune, Camille interprétée par Pauline Susini, partage la scène avec elle. Ce duo fait le pont entre les générations, établit le lien avec le féminisme d’aujourd’hui, où des militantes dites radicales sont attaquées comme l’avait été Simone Veil à l’époque de la loi sur l’avortement. N’oublions pas ce que Simone Veil disait face à l’Assemblée Nationale lors de son discours en faveur de la loi pour l’avortement le 26 novembre 1974 : « Je le dis avec toute ma conviction ; l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu’il perde ce caractère d’exception, sans que la société paraisse l’encourager ? Je voudrais tout d’abord partager une conviction de femme. Je m’excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d’hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes. »

Les combats, les cicatrices, les moments de doute aussi de Simone Veil sont précieux et essentiels, dans cette société torturée, pour nous empêcher de retomber dans certaines dérives d’un autre temps. Il ne faut pas l’oublier, le rôle de l’artiste est celui-là aussi, transmettre. « Pour l’instant, en tout cas, elle (ndlr : Simone Veil) n’a pas été remplacée. Eh bien, il faut la retenir pour montrer aux jeunes générations, pour qu’elle nous laisse des héritages. Et l’héritage, c’est comme ça qu’elle nous le laisse en faisant des spectacles, des films et des expos. » (Cristiana Reali – BFM Culture et vous – 27/09/2021). Et que dire de plus que : Simone Veil, les combats d’une effrontée…

– Marie-Gaëlle Van Snick

SPECTACLE COMPLET!