PUNCHLINES SOUS RÉGIME NAZI

D’un côté un médecin devenu essentiel pour Himmler, chef des SS, de l’autre, quelqu’un qui a sauvé plus de 100.000 personnes des camps de concentration. Deux faces pour un même homme, courageux et trouble, méconnu du grand public et raconté dans Deux mains, la liberté d’Antoine Nouel dont c’est la première création. Qu’auriez-vous fait à la place du docteur Kersten ?

Dans ce spectacle, Antoine Nouel a tout fait : l’écriture, la mise en scène et l’interprétation, aux côtés de deux autres formidables comédiens, emporté par ce destin hors du commun non dénué de parts sombres. « Mon neveu m’a offert, il y a huit ans Les mains du miracle de Joseph Kessel que j’ai lu en une soirée, raconte Antoine Nouel. J’ai trouvé invraisemblable que si peu de monde connaisse cette histoire. On a salué à juste titre Schindler qui a sauvé 1200 personnes de la mort. Personne ne cite le docteur Félix Kersten qui en a sauvé plus de cent mille ! J’aime à citer la phrase « Celui qui sauve une vie, sauve l’Humanité entière » tirée du Talmud, et partagée dans le Coran. Mais je ne veux pas installer de compétition, loin de là, l’important étant de sauver ne fut-ce qu’une vie. »
Le fait est que Kersten a soigné Heinrich Himmler, haut dignitaire du IIIe Reich et responsable des camps d’extermination. « Beaucoup se sont offusqués que je traite un tel sujet, ce que j’appelle la « dignité de l’indignation ». Dans cette pièce, je demande au public ce qu’il aurait fait à la place de Kersten. »

Personnalité complexe au temps de l’horreur

La polémique est double : la personnalité ambiguë de Kersten et le regard porté sur Himmler. De quoi bousculer les esprits. « Il est évident que ces personnages gênent énormément. Comment envisager que Himmler, dans sa monstruosité absolue, puisse faire preuve d’intégrité, voire d’une part d’humanité ? Ces milliers de personnes sauvées le sont de sa signature. Quant à Kersten, c’est sans nul doute un arriviste, déjà riche avant sa notoriété, issu d’une famille modeste, devenu masseur hors norme par la force d’une rééducation personnelle suite à un accident. Le roman de Kessel comporte sa part de fiction. Je voulais un spectacle au plus près des faits mais tout en romançant l’histoire, pour ne pas en faire un sujet plombant ni une histoire facile. » D’où l’exigence d’adopter un ton qui fait mouche pour cet expert du doublage. « Avec mes comédiens, nous organisions des concours de punchlines, des phrases à même d’interpeller le public, de l’amuser ou de le secouer. Le sujet est très grave dès lors qu’on touche à la mort et aux camps d’extermination mais il n’est pas obligatoire de s’empêcher l’humour. Sans pour autant en faire une comédie, évidemment. »

Dire sans réciter

Le trio que forme Antoine Nouel avec Philippe Bozo et Franck Lorrain se révèle impressionnant. « Philippe, un de mes meilleurs amis, joue Himmler tout en étant de confession juive. Nous avons tous partagé la même sensibilité. Je déteste qu’on joue du théâtre sur scène, en adoptant un type de jeu grandiloquent. Je veux surtout qu’on parle comme dans la vie. Un comédien fait son métier à partir du moment où il s’exprime naturellement, sans réciter. »

– Gilda Benjamin

>> TICKETS pour le jeudi 02/11 et vendredi 03/11 2023 à 2030